PROLOGUE – FONDEMENTS DE LA VALEUR ECONOMIQUE

PROLOGUE

Le lecteur peut légitimement être surpris par le titre de cette étude. Peut-on encore dire quelque chose de nouveau au sujet des fondements de la valeur économique ? Probablement, peu de thèmes dans l’histoire de l’économie auront occupé tant de pages, écrites non seulement par des économistes mais aussi par des hommes politiques et des philosophes.

Face à cette perplexité légitime, j’espère que les pages qui  suivent vont montrer qu’il est effectivement possible de dire quelque chose de nouveau sur les fondements de la valeur économique et, principalement sur les deux aspects qui traditionnellement se prêtent  le plus à la critique.

1.Ce sont surtout les non-économistes qui ont démontré que les théories conventionnelles sur la valeur économique sont trop simplistes.

D’une part, la théorie de la valeur, appelée subjective, signale que les choses ont une valeur  parce qu’elles sont utiles et rares. D’autre part, la théorie objective de la valeur affirme que les choses ont une valeur parce qu’un travail  a été nécessaire pour les produire. Ces deux idées clefs réduisent les fondements de la valeur économique à une façon de poser le problème de manière beaucoup trop simple dans un monde qui, par sa complexité, échappe aux tentatives de systématisation trop rigides et schématiques.

 L’auteur prétend, ici,  dépasser ces simplifications excessives, sans abandonner les théories subjective et objective sur les fondements de la valeur économique mais en les intégrant à une explication beaucoup plus vaste, plus exhaustive, c’est à dire, avec une valeur explicative plus importante.

  1. Le deuxième type de critiques aux théories sur la valeur fait référence aux implications normatives des théories conventionnelles.

 La théorie subjective de la valeur est la base de la défense de l’économie de marché, avec la brillante construction de la théorie économique marginaliste, selon laquelle la valeur en argent des choses est, indéfectiblement, liée à l’utilité que les consommateurs lui attribuent « en votant » dans le marché par le paiement du prix.

Pour leur part, les théories objectives, selon lesquelles la valeur dépend du travail inclus dans chaque bien, ont proportionné le dernier fondement pour justifier la planification collective ou, plus exactement, collectiviste de l’économie.

Les vertus et les défauts des deux perspectives sont connues. A la théorie subjective de la valeur qui justifie l’économie de marché en la  décrivant comme un mécanisme  satisfaisant les nécessités humaines avec peu de ressources, on a reproché qu’elle ne pourvoie que les nécessités solvables, c’est à dire de ceux qui ont la possibilité de payer. On  a critiqué également que l’économie de marché sert de la même façon les nécessités rationnelles comme les irrationnelles ( le marché s’occupe avec la même promptitude et diligence de la demande d’un verre de vin par un alcoolique que par un malade qui en a besoin pour se remettre).

            Ces critiques, comme bien d’autres, ont mené, dans une certaine mesure, à la volonté de planifier collectivement et de manière coercitive la vie économique, avec un critère égalitaire de répartition des biens qui intègrent le produit social.

            Cependant, de manière évidente, et en excluant les difficultés qu’implique une planification coercitive de l’économie (comme l’ont démontré les récents événements d’Europe de l’Est), il existe une autre critique qui constitue un des arguments les plus brillants des opposants à l’égalitarisme.

            On dit que les hommes naissent égaux en dignité et en nature, mais ils n’ont ni les mêmes aptitudes ni les mêmes vocations. Certaines personnes naissent avec une vocation dont la réalisation sera coûteuse et longue, pour d’autre ce sera plus rapide et moins cher, on peut même ajouter que toutes les vocations n’ont pas la même importance pour l’économie et pour le bien être économique de la société.

            C’est pour cela, qu’il semble évident que tous les individus ainsi que la société ont droit à ce qu’on leur reconnaisse différentes marges d’initiative, de disponibilité des ressources et des perspectives économiques différentes, afin de réaliser  les différents projets selon leurs coûts et leurs difficultés. Selon ce projet, l’égalité d’opportunités ne peut être qu’une situation de départ mais en aucun cas elle ne sera une possibilité  à l’arrivée ou en chemin. Il faut reconnaître à chacun le droit d’effectuer l’itinéraire choisi dans des conditions économiques appropriées au coût et aux  difficultés de celui-ci.

            Et ce n’est pas seulement l’intérêt de l’individu qui est en jeu, il est aussi important pour la société d’appuyer plus fortement les vocations qui ont une plus grande transcendance socio-économique et ne pas considérer comme égaux tous les types de travaux, projets et vocations.

            Mais de ce point découle une conséquence finale. Il est évident que la valeur économique d’un projet déterminé, d’un bien ou d’un service, ne dépend pas seulement de son utilité ou de sa rareté, ni du travail qu’a supposé sa réalisation. La valeur d’un produit existe aussi en fonction de sa finalité.

            C’est ainsi que le problème de la valeur en économie se connecte avec le monde des finalités et de la hiérarchie de ces finalités. Cette connexion a été,  traditionnellement, le point d’achoppement des théories subjectives sur la valeur. Ce qui est, généralement,  considéré comme étant la meilleure situation en économie ne peut bénéficier à personne sans auparavant avoir été préjudiciable à quelqu’un, ce qui revient à donner la même importance sociale à tous les choix individuels.  On considérerait, alors, que le choix de celui qui achète de la drogue pour la consommer est tout aussi respectable que le choix de celui qui achète de la drogue pour l’utiliser dans un laboratoire dans le but de fabriquer des médicaments. Il est évident qu’une telle prise en compte du problème est difficilement satisfaisante dans la pratique.

            On doit donc suivre une autre méthode pour déterminer de manière réaliste les causes de la valeur économique. Ce qui implique la recherches de finalités objectives qui donnent du sens à la théorie de la valeur.

            Les conceptions objectives souffrent, en ce sens, d’une caractéristique commune : elles considèrent que le consommateur est le juge suprême de son propre bien être, de plus elles conçoivent la consommation comme une activité de satisfaction des nécessités du consommateur.

            Comme nous pouvons l’observer dans les derniers chapitres de cet  essai remarquable que nous sommes en train de présenter, la consommation n’est pas seulement la fin d’un processus de satisfaction des nécessités humaines avec des ressources rares ; la consommation est, certes, l’activité grâce à laquelle le consommateur couvre ses nécessités, mais plus largement, cette satisfaction enrichit ou diminue, et peut même détruire, le potentiel productif de la personne qui consomme.

             La personne qui accumule de la culture (qui touche aux sciences exactes ou humaines) au travers de la lecture ne satisfait pas seulement l’envie personnelle de savoir ou l’intérêt subjectif pour la connaissance en question,  inconsciemment, elle s’enrichit pour pouvoir mener à terme avec plus d’efficacité son activité productive dans la société. Celui qui consomme du sport, est en train de satisfaire sa nécessité d’entraînement mais il est aussi en train de développer l’énergie physique qui va lui servir dans son activité professionnelle, etc. Celui qui se drogue, « satisfait » égoïstement son besoin d’évasion, mais en même temps, il affaiblit, quand il ne le détruit pas totalement, son potentiel de travail.         

Par conséquent, on peut dire que la consommation n’est pas une fin en soi, mais plutôt un moyen, ou comme l’explique la théorie économique moderne (selon Becker) un bien intermédiaire dont l’utilité ne se limite pas à la satisfaction des nécessités du consommateur mais affecte aussi son efficacité économique et sociale.

            Voici, donc, une série de raisons qui nous démontre que nous ne pouvons considérer que tout a déjà été dit sur la valeur économique. Le travail que nous commentons, est, sur ce point, une étude éclairante qui montre qu’il est encore possible de tirer des conclusions qui enrichissent les lois déjà connues.

            Depuis toujours, et quelle que soit la conception de la science économique exprimée par la doctrine, les différentes opinions que l’on trouve dans la littérature à ce sujet finissent toujours par relier, directement ou indirectement, le problème économique avec la faible productivité et la solution avec l’efficacité, l’obtention d’un maximum d’utilité, de bénéfice au moindre coût, avec le moins de sacrifices possible.

            Bien entendu, quand on pose ainsi le problème, il est nécessaire de définir les termes de coût, sacrifice, utilité, bénéfice, etc.

            La littérature, très abondante, sur ces problèmes de définition des concepts est loin d’avoir épuisé la question. C’est précisément, dans le cadre de cette préoccupation méthodologique pour avancer dans la réflexion  portant sur ce qui reste à résoudre que se situe le travail de José Juan Franch. Son étude se centre sur le concept d’adéquation, de compatibilité économique au sens large du terme.

            L’auteur du livre ne considère pas que le concept d’utilité, sur lequel s’est construit toute la théorie néoclassique de la valeur, soit en contradiction avec le concept d’adéquation, ni que sa démonstration à partir des conceptions de la valeur–travail ne soit vraiment terminée.

Le concept de compatibilité économique devient le centre de la recherche, il est traité de manière originale, mais il est construit sur la base d’un examen orthodoxe et objectif de toute la littérature, très abondante, ayant un lien avec tous les thèmes mentionnés.

            La réussite est complète, les lectures sont détaillées et profondes. Ces lectures, sont de deux types :  philosophiques et économiques. La grande réussite et rare vertu du professeur Franch  consiste à se mouvoir avec une aisance, que l’on envie, dans ces deux domaines.  Ce qui l’amène à exposer avec une grande précision son thème, et à adopter une grande rigueur dans son argumentation ; on pourra discuter les conclusions de ses démonstrations mais la cohérence, la logique de son argumentation est indiscutable.

            En résumé, nous nous trouvons face à une œuvre ambitieuse et de grande qualité dont la lecture sera tout aussi profitable pour les philosophes que pour les économistes. C’est pour cette raison, que nous terminerons en signalant que le langage utilisé est toujours très précis et qu’il permet une meilleure exposition du thème ce qui, en toute logique, procure plus de clarté pour le lecteur attentif.

JOSÉ LUIS PÉREZ DE AYALA.

FONDEMENTS DE LA VALEUR ECONOMIQUE – FUNDAMENTOS DEL VALOR ECONÓMICO