La priorité du travail humain sur les biens matériels.

La priorité du travail humain sur les biens matériels.

Le travail (cause efficiente) est prioritaire par rapport au produit (cause matérielle) puisque l’objet ne peut être considéré comme une cause  sans avoir été, auparavant,  le produit d’un  travail antérieur. L’être humain est le départ de toute action ayant comme effet l’augmentation de la valeur économique.

La méthodologie générale du travail est influencée par l’intelligence de l’homme capable de capter les objectifs et de découvrir les moyens pour les atteindre. On ne peut appliquer la même méthodologie à un pays peu peuplé et ayant des ressources naturelles abondantes qu’à un pays surpeuplé et pauvre en  richesses naturelles. Il est absurde d’appliquer dans ce dernier cas, comme on l’a souvent fait, des systèmes technologiques de développement économique cherchant à économiser le travail et peu regardant en dépense de ressources matérielles. Cette méthodologie est adaptée à un pays peu peuplé et riche en ressources mais on ne peut l’appliquer  à d’autre cas comme si c’était le système le plus efficace. Les politiques de développement doivent tenir compte du facteur travail, du capital humain concret de la région à développer, avec son tempérament, ses qualités et ses limitations. Le capital physique d’un pays n’est pas décisif, ce qui est décisif c’est le capital humain. Il y a des exemples concrets dans l’économie mondiale de pays pauvres en ressources naturelles qui, grâce à la stimulation de leur capital humain, ont pu atteindre des niveaux élevés de développement. A l’inverse, il existe aussi  des pays et des régions qui, ayant de grandes richesses physiques, se trouvent dans une étape de sous-développement économique.

Le travail humain est au-dessus de l’infrastructure matérielle à tous les niveaux économiques : économie domestique, entreprise, région, pays. Parmi les causes de la pauvreté, les facteurs matériels sont secondaires : les causes les plus importantes sont les déficiences de l’éducation, de la culture et de l’organisation.

Dans le domaine de l’entreprise, on observe également un changement positif, le capital humain est davantage pris en considération. Le directeur d’une entreprise n’est plus une personne simplement capable de combiner les facteurs de production aux meilleures circonstances technologiques et économiques. Considérer que le travail est un facteur fixe et conventionnel, presque passif comme la matière, n’est plus approprié au contexte de l’entreprise actuelle qui a besoin d’imagination créative dans la recherche des objectifs de son activité. Le « software » humain est, en définitive, celui qui alimente et vivifie le « hardware » matériel de l’entreprise. On ne peut pas faire le bilan d’une organisation  économique en se basant simplement sur sa production physique. La caractéristique la plus importante pour faire ce bilan est la capacité humaine pour le travail présent et surtout futur, car c’est elle qui permettra la continuité de son activité. La capacité productive des personnes est le point le plus important pour une organisation économique. Les politiques de développement régional devraient changer de stratégie générale, et donner plus d’importance aux personnes qu’aux marchandises.

Généralement, il se passe le contraire : les préjugés économiques font leur apparition et on construit des modèles très compliqués qui incorporent des abstractions telles que le PNB, l’épargne, l’investissement en capitaux fixes, les importations ou le rythme des exportations etc., qui  ne représentent que des produits matériels et on délaisse le capital humain qui devient un simple paramètre générique et quantitatif : la population. Non seulement on le délaisse, mais, en plus, on le rend coupable de l’échec éventuel du modèle de développement, ce qui est une contradiction inadmissible. Les modèles de développement doivent davantage prendre en considération les variables et les causes humaines de la croissance, plus en accord avec la reconnaissance du travail humain en tant que cause efficiente de la valeur économique.

Je considère que certaines affirmations qui s’appliquent habituellement à l’importance de l’accumulation du capital physique, sont plus appropriées pour parler du capital humain. 

« Le capital est le futur. C’est la provision pour les risques, les incertitudes, les changements et les travaux de demain. Ce n’est pas un coût important mais c’est tout de même un coût. Une économie qui n’accumulerait pas suffisamment de capital pour couvrir ses frais futurs, est une économie qui se condamne toute seule à la récession et à une crise continue, la crise de stagflation »17

Pour sa part, Hayek signalait que « Si les peuples occidentaux disposent de plus de richesses que les autres pays, cela est du, en partie seulement, à une plus grande accumulation de capital (physique) C’est surtout l’utilisation effective du savoir qui leur a donné la suprématie »19

  Cette priorité de l’homme sur la nature ne lui permet pas une exploitation abusive. Comme nous l’avons déjà vu dans le chapitre précédent, les deux sont intégrés dans la même tâche. Si la prépondérance de l’homme devient agressive, l’homme sera perdant. Sa relation avec la nature doit être une domination aimable et féconde. D’ailleurs, le sentiment de respect envers la nature est un composant implicite et naturel de toute attitude de respect envers autrui.

Pour que le travailleur puisse atteindre son objectif d’augmentation de la valeur, il faut qu’il domine le produit et non l’inverse. Une « ambiance » de travail, révélatrice d’une philosophie de travail adéquate, c’est à dire une philosophie selon laquelle le dominé est la marchandise et non le travailleur, est de plus en plus importante pour l’efficacité de la production. L’automatisation peut servir à humaniser cette ambiance en libérant l’homme  de tâches purement physiques, mécaniques ou routinières. Mais la technologie moderne a parfois privé l’homme d’un travail créatif, utile, où ses mains et son cerveau  participent du même effort, en  exigeant de lui un  travail fragmenté, spécialisé, plus routinier.19

Le déplacement d’une activité du secteur primaire vers le secteur secondaire, et particulièrement du primaire ou secondaire vers le tertiaire, vient renforcer une tendance qui s’observe dans les économies des pays les plus développés et qui est en relation directe avec ce besoin d’ambiance plus humaine au travail : on valorise de plus en plus le travail autonome, sans sortir de chez soi. Ce ne sont plus les personnes qui se déplacent vers leur lieu de travail, mais le travail qui vient vers elles. L’informatique et les communications rendent cette tendance possible. 20

Le travail augmente sa valeur s’il nous permet de nous exprimer, si c’est un moyen de matérialiser nos énergies créatives, si nous le contrôlons c’est à dire si ce n’est ni le travail, ni la marchandise, ni la machine qui nous contrôle. Les bénéfices de l’industrialisation, en terme de production physique, ont été notablement réduits par la tendance à transformer les gens en automates. Schumacher distinguait les outils, les serviteurs de l’humanité puisqu’ils élargissent son champ d’action et sa capacité, des machines, qui sont nos maîtres en nous obligeant à travailler à leur rythme, à nous adapter à leurs exigences, à aller où elles se trouvent. Convertir les instruments en outils sans nous transformer  en machines,  voilà ce qu’il y a  de plus important.

Le travail est la cause motrice dans la création de la valeur, il transmet au produit quelque chose qui lui est propre, un peu d’ « humanité » en somme, qui est incorporé au produit fini. Le travailleur transmet au produit, par son travail, quelque chose qui  lui ressemble, quoique inférieur et un peu différent. L’homme, dirigé par sa raison et sa volonté, peut produire des effets visant à «humaniser » très différents les uns des autres.

La richesse intérieure du travailleur se déploie dans l’ensemble des actions que constitue son travail. Par le travail, nous humanisons ce sur quoi nous agissons. Le niveau d’humanité de celui qui travaille est transmis au produit de son action. Meilleur est le travailleur, meilleures sont ses possibilités de créer de la valeur par son activité. On comprend, donc,  mieux pourquoi le concept de capital humain est si important.

La nature humaine se manifeste principalement par le travail. L’exercice des opérations rationnelles et volontaires, nécessaire à tout travail, démontre la spiritualité de l’homme.  Il agit grâce à ses différentes facultés et capacités. Lors du travail, ces diverses facultés se complètent entre elles. L’amélioration de chacune de ces facultés ou de leur complémentarité constitue le but des investissements en capital humain : la formation professionnelle.

L’économie est aussi normative, car c’est une activité humaine pour laquelle le capital humain est, de plus en plus clairement,  la ressource principale, la ressource essentielle. L’économie doit organiser ce capital humain, elle doit l’ordonner selon une certaine norme. Cette norme dérive de la réalité positive, de l’essence de la nature. L’économie positive nous mène à l’économie normative. Si les choses et l’homme sont d’une certaine forme, et nous voulons atteindre cet objectif, nous devons agir en conséquence. 

Une certaine économie considère seulement l’efficacité de l’action humaine quand celle-ci est capable de produire plus et mieux et oublie toute autre valeur personnelle de cette action. Cette perspective est dangereuse car elle nous fait oublier combien il est important d’augmenter, par cette même action, l’humanité du travailleur pour permettre une plus grande efficacité qualitative lors de travaux postérieurs.

Il est réducteur de juger un travail, en se référant seulement qu’aux produits. Il faut aussi évaluer l’amélioration ou non du propre sujet travailleur. Considérer les conséquences du processus de production ne suffit pas. L’entreprise doit aussi observer les répercutions de ce processus sur les agents qui y participent. La richesse matérielle d’une entreprise est secondaire comparativement à sa richesse en capital humain. On a découvert que le composant d’une organisation humaine est la ressource décisive pour une entreprise ayant de bons résultats et c’est également un élément de continuité.

Les activités techniques de l’entreprise se nourrissent de relations humaines, c’est pour cela qu’il faut, de plus en plus, insister sur ce point.

Un déplacement du capital matériel au capital humain est en train de se produire et, à l’intérieur de ce dernier, nous passons du composant purement physique aux composants intellectuel et créatif.

Diriger ne consiste plus seulement à commander. Dans une entreprise, il faut aussi savoir dialoguer et échanger pour atteindre des buts communs. L’intellect et la liberté créative de celui qui obéit aux ordres sont très importants. Réaliser de grands objectifs suppose l’accomplissement de tâches qui ont été imposées c’est à dire la réponse à des ordres qui ont été donnés. Ces ordres donnés par les dirigeants s’adressent à des sujets qui, eux aussi, sont libres. C’est, donc, tout un jeu de libertés qui doivent se combiner. Celui qui dirige ne doit pas se limiter à donner des ordres, il doit aussi se faire comprendre. L’ordre doit être compris pour être réalisé.

L’activité de l’employé n’est pas seulement mécanique, semi-passive, il doit être incorporé au système de décisions pour pouvoir prendre ses propres décisions afin de mieux accomplir les objectifs généraux. Améliorer l’organisation du travail ne consiste pas seulement à payer davantage le travailleur pour son efficacité productive. Il s’agit plutôt de viser un modèle de fonctionnement plus humain, et donc, plus intelligent, dans lequel les individus ordonnent et obéissent, en alternance, pour améliorer les produits et leur propre travail.

 A cette dualité d’objectifs et de fonctions du travail, nous ajouterons, dans les chapitres suivants, le fait que l’entreprise veuille obtenir un meilleur service pour ses clients potentiels. Ainsi, nous obtenons les trois fonctions du  travail, en tant que cause efficiente : humaniser la matière, s’humaniser soi-même en accomplissant cette tâche et humaniser les personnes que nous visons à travers cette activité. Il s’agit d’améliorer la valeur de la matière en essayant d’augmenter la valeur du patrimoine d’autrui mais aussi en élevant la valeur du propre patrimoine humain.     

17 DRUCKER, op.cit, p. 11.
19 HAYEK, Los fundamentos de la libertad, Unión Editorial, Madrid 1975, p. 73.
19 SCHUMACHER, Lo pequeño es hermoso, Hermann Blume, Madrid 1978, p.133.
20 HANDY, el futuro del trabajo humano, Ariel, Barcelona 1986, p.106.

FONDEMENTS DE LA VALEUR ECONOMIQUE

TEXTO ORIGINAL DEL AUTOR EN ESPAÑOL EUROPEO

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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